Le Registre des Ostéopathes de France adresse au président de l'Ordre des Médecins un courrier en réponse à la publication du rapport sur « les pratiques de soins non conventionnelles et leurs dérives » paru au printemps dernier.
Monsieur le Président,
Le Registre des Ostéopathes de France que je préside, a pris connaissance du document intitulé « les pratiques de soins non conventionnelles et leurs dérives », validé en février dernier par votre Conseil national. Ce texte, publié largement, a retenu notre attention.
Vous avez jugé que ce rapport s’imposait dans un contexte sociétal très particulier, aussi je me permets de préciser que la réponse du Registre des Ostéopathes de France s’impose de facto ; cela d’autant plus que vous citez l’ostéopathie dans votre rapport et que les évènements sociétaux conjoncturels le demandent.
En préambule, je tiens à rappeler que le Registre des Ostéopathes de France (R.O.F.) est une association loi 1901, créée en 1981, dont les principales missions veillent à identifier et recommander les bonnes pratiques de l’ostéopathie, tout en condamnant les écarts éthiques et déontologiques.
Organisé autour d’un modèle ordinal, le R.O.F. s’est structuré pour honorer sa vocation principale, essentiellement autour d’un code de déontologie opposable, d’une instance nationale de médiation et de discipline (INMD), d’un comité consultatif d’éthique (CCE).
Il est doté de statuts et d’un règlement intérieur dont les membres, annuellement, s’engagent volontairement à suivre scrupuleusement et dignement les préceptes.
Grâce à cette rigueur organisationnelle, cumulée aux exigences du label Quali-Op dont nous bénéficions, comparables aux bases ordinales que nous connaissons, nous sommes en mesure de démontrer notre transparence de fonctionnement et de prise de décisions.
De plus, nos exigences professionnelles de haut niveau rejoignent celles qui sont théoriquement attribuées aux Ordres professionnels. Vous noterez ainsi que nos objectifs devraient converger.
Quel est le contour de nos pratiques de soins non conventionnelles ?
La définition de celles-ci diverge selon le prisme et la considération de l’instance qui la cite :
- selon le ministère de l’économie et des finances, il s’agit « des pratiques dites naturelles qui prennent en compte l’individu dans son ensemble, sans tenir compte exclusivement du symptôme » (pour lequel le patient consulte) ...
- selon le ministère de la santé (votre référence), ce sont « des pratiques non reconnues scientifiquement par la médecine conventionnelle, ni enseignées au cours de la formation initiale des professionnels de santé ».
- Le code de la sécurité sociale propose, une définition liée à une convention de prise en charge de remboursements de soins selon une nomenclature établie. Devons-nous considérer ce volet de convention dans le qualificatif de « non conventionnelle » ?
Votre pratique médicale est associée à plusieurs conventions, notamment à celle du Code de Santé Public, ainsi qu’à celle du Code de la sécurité sociale...
Certes l’ostéopathie ne fait pas partie du Code de la Sécurité sociale.
Cependant, elle est clairement identifiée au sein du Code de Santé public, comme étant « une pratique œuvrant dans le champ de la Santé » par des titulaires “porteurs de titre”.
Il existe donc une notion conventionnelle pour l’ostéopathie, différente de celles des Professionnels de Santé inscrits dans la Quatrième partie législative du Code de Santé Public.
Devons-nous accorder à la notion « conventionnelle », le sens usuel ou traditionnel du terme ? Auquel cas, il conviendrait de rendre compte des sollicitations de plus en plus nombreuses et devenues communes de la part de nos concitoyens qui n’hésitent plus à consulter un ostéopathe (Sondage Odoxa*).
Consulter un ostéopathe devient usuel, courant, considéré comme « conventionnel » pour nos patients ?
Vous comprenez, comme moi, que ce jeu lexical ne saurait exister qu’à travers une réglementation lacunaire donc insuffisante. Je vous propose alors de vous rappeler certains pans de la réglementation en ostéopathie. Au-delà d’être clairement identifiée par l’OMS, beaucoup d’états membres de l’UE l’ont validée en qualité de profession de santé propre à leurs règlementations nationales.
Dans votre annexe 3 (pages 56, 57 et 58) vous orientez succinctement la réglementation en ostéopathie, en insistant principalement sur les quelques limites à notre pratique.
Malgré tout, au préalable, vous accordez à notre histoire professionnelle, le terme de « médecine manuelle et ostéopathie ». Vous révélez ainsi que les techniques abordées sont parfaitement concordantes et que le doute ne peut plus prévaloir sur l’usage ambigu de l’un ou l’autre des deux termes.
Je pense qu’il convient de vous éclairer sur les compétences règlementaires des ostéopathes. Elles sont clairement établies et actées depuis 2014 selon un référentiel métier initialement construit, puis converti et adapté pour devenir le référentiel de formation actuellement en vigueur en France.
Ces compétences font donc l’objet d’une équivalence RNCP niveau 7 conforme au code ROME sur lequel vous vous appuyez notamment, pour solliciter Pôle emploi par exemple.
Depuis 2007, la formation et les modalités d’enregistrement pour être autorisé à pratiquer l’ostéopathie sont simples et très limpides. Aujourd’hui, devenus insuffisants face au développement spectaculaire de notre discipline, le débat porte désormais, en partie, sur une objectivation du suivi qualitatif de cette formation ainsi que de la maitrise des compétences effectivement enseignées. (§IGAS)
La pratique de l’ostéopathie doit aussi faire l’objet d’un débat approfondi.
Après l’indispensable enregistrement du diplôme et l’inscription au répertoire ADELI, la liberté d’installation sous forme libérale suit strictement le Droit français.
Comme vous, nous ne nous accordons pas un droit abusif en nous autorisant à traquer chaque professionnel dans sa pratique quotidienne.
La confiance doit être le prolongement de la conscience professionnelle de chacune et chacun d’entre nous, encore faut-il qu’elle ne soit pas bafouée.
Malgré tout, nous ne sommes pas à l’abri de fautes et d’écarts, bien entendu.
Le code de déontologie du R.O.F. fait référence.
Construit sur une base similaire à celle édictée pour les professions de santé, il se veut essentiellement empreint de bon sens et de respect envers TOUS nos interlocuteurs, à commencer par nos patients. Et l’usurpation du titre « convoité » d’ostéopathe reste le premier motif prédominant de signalements malveillants.
Par exemple, au cours de l’année 2022, pour 70% des cas référencés, ce sont les professionnels de santé qui ont « excellé » dans cette indigne compétition !
Dans notre dernière publication de 2022 titrée « l’activité ordinale et le recueil de sinistralité des ostéopathes en France », il est démontré que l’ostéopathie ne souffre absolument pas de plus de dangerosité et de signalements que les autres professions de santé dites conventionnées.
Même si le nombre de signalements évolue conjointement à l’évolution de la démographie ostéopathique, son taux par rapport au nombre de professionnels, reste strictement circonscrit dans les mêmes ratios, ni plus ni moins, que ceux relevés notamment par les ordres des Professions de santé... Ce taux de signalements en ostéopathie se révélant lui-même, très inférieur à la pratique médicale.
Bien entendu, aucune discipline professionnelle, quelle qu’elle soit, touchant à l’intégrité du corps humain ou non, n’est à l’abri de dérives, de déviances, de malveillances, d’escroqueries, de comportements dénués d’humilité et de discrétion, comme vous le mentionnez parfaitement. Ce que vous dénoncez pour les pratiques non conventionnelles existe également très certainement au sein du corps médical. Encore faut-il, elles aussi les dénoncer et les combattre !
Dans le cadre ostéopathique, le R.O.F. les dénonce pour y remédier !
Les résultats de ces luttes sont tributaires de la réactivité des instances administratives généralistes hélas surchargées, et dont les prérogatives restent malheureusement limitées.
Il me faut vous rappeler l’organisation rigoureuse de notre institution : elle milite pour la création d’une structure centralisée faisant autorité en ostéopathie en France. Celle-ci bénéficierait d’une délégation de l’État, pour s’imposer à TOUS les ostéopathes exclusifs ou portant le titre partagé avec une autre profession de santé ou non.
Notre référencement auprès des instances judiciaires et des tribunaux autorise désormais le Registre des Ostéopathes de France, grâce à son orientation jugée ordinale, à se porter Partie civile dans la plupart des juridictions françaises. Ainsi, Il ne nous est pas rare, d’être confronté à une “pratique illégale de la médecine” simultanément à l’affaire initialement signalée.
Le R.O.F. se montre tout aussi intraitable face aux dérives sectaires.
Votre rapport est choquant, lorsque vous généralisez les déviances vers toutes les pratiques de soins non conventionnelles. Paradoxalement, nous nous rejoignons lorsque vous émettez des doutes sur la valeur légitime des actions de l’agence A-MCA, qui tente de qualifier ces dites pratiques « non conventionnelles » et de chercher à les trier en son sein...
Nous ne pouvons tolérer cette mise en commun maladroite, uniformisée malgré les différentes disciplines sélectivement présentées, au prétexte notamment, que nous ne sommes pas structurées.
Nous n’avons simplement pas avec les mêmes critères qualitatifs et quantitatifs, nous ne sommes tout simplement pas comparables, nous n’avons pas la même histoire...
Je vous rappelle que l’ostéopathie est réglementairement inscrite dans la loi française, identifiée par le Code de santé public, plébiscitée par une grande majorité de la population qui en reconnaît en conscience, les bénéfices.
Souvenons-nous enfin, que l’histoire de la « Médecine » identifiée comme telle que vous la définissez aujourd’hui, remonte à l’Antiquité, initiée par certains principes manuels de recouvrement de mobilité, de prévention, de maintien de mobilité et... selon les circonstances, d’un adjuvant sous forme de lotion ou de potion ! Les connaissances, la science, les mœurs ont bien sûr évolué. Au demeurant, certaines vérités aussi.
Bon nombre de traitements allopathiques recommandés autrefois n’ont plus cours aujourd’hui, pour de multiples raisons. Les recommandations de bonnes pratiques émises par la HAS, commencent à voir inscrites l’ostéopathie dans ses lignes.
La médecine manuelle a été délaissée au fil de l’histoire, au gré des civilisations, au profit de la chimie et de la pharmacopée, emportée vers la facilité et le confort face au symptôme, vers le renoncement à l’effort, et pour beaucoup, grâce aux découvertes technologiques.
Nous n’exprimons pas de regrets : Il s’agit d’une prise de recul face au sens de l’histoire qui court grâce aux progrès techniques dans tous les secteurs, mais qui ne peut absolument pas se soustraire à l’art essentiel du toucher et du contact qui retrouve ses lettres de noblesse. Mais face aux extrêmes finesses scientifiques, les recommandations essentielles à travers l’intérêt de l’alimentation, la base du mouvement et l’élémentaire bon sens, accompagnent désormais communément vos ordonnances.
Dans le déroulé de votre rapport, vous avez très bien rappelé les diverses causes du nombre croissant des déviances. Tous les bouleversements conjecturaux renforcent certaines malveillances face aux faiblesses psychologiques et économiques de beaucoup d’individus.
La vulnérabilité s’exprime désormais plus couramment dans tous les secteurs ; il s’agit là, d’un progrès formidable qui éradique le mutisme. Il n’y a plus de honte à libérer les paroles !
Très sensible sur ce sujet, le R.O.F. participe depuis 2021, aux missions de la Miviludes.
Convaincus des qualités organisationnelles et des compétentes de notre institution, même si nous ne sommes pas littéralement un Ordre, la direction et les conseillers santé de ce cabinet interministériel, nous accordent leur totale confiance.
Au même titre que tout Ordre professionnel, nous travaillons désormais ensemble à l’occasion de toute sollicitation en lien avec l’ostéopathie.
La Miviludes est l’alliée des patients, elle est celle de l’ostéopathie.
Elle est également l’alliée du R.O.F., elle est celle des personnes responsables !
Au-delà des dérives sectaires, civiles et pénales, le R.O.F. contribue à protéger toute violence envers tous les individus et notamment les femmes.
Les travaux menés au sein de la MIPROF au cours de l’année 2022, ont permis au R.O.F. d’élaborer conjointement avec d’autres professionnels de santé un guide d’accueil, de prévention, de formation et de recommandation lorsqu’un professionnel se trouve confronté à de telles situations.
Afin de revenir à un cadre plus consacré à l’ostéopathie, la mission de l’IGAS diligentée en 2021 se présente comme une clef essentielle pour encadrer et sécuriser notre pratique au profit des patients.
Votre confrère, ancien ministre de la Santé et des solidarités, monsieur Olivier VERAN, avait lui, bien compris que l’ostéopathie devait être traitée indépendamment de tout autre sujet. Au cours de son mandat, il a diligenté l’IGAS d’une mission, à la suite notamment des problématiques rencontrées à l’occasion des renouvellements d’agréments des établissements de formation en ostéopathie, et ce, afin d’éclaircir de nombreux points définis.
Le rapport de l’IGAS 2021-095R a donc été rendu public le 26 mai 2023. Il pointe strictement les pistes de progrès en termes de formation ainsi que l’état des lieux de la pratique de l’ostéopathie. Ce document valide strictement en tout point ce que le Registre des Ostéopathes de France encourage à concrétiser :
- une formation égalitaire à travers tout le territoire français, sanctionnée par un diplôme national reconnu par l’État, un recensement de TOUS les praticiens en ostéopathie
- un encadrement centralisé de la profession par une structure ayant délégation de l’état, faisant autorité démographique, éthique, disciplinaire...
Ce n’est plus uniquement le R.O.F. qui le recommande, c’est l’IGAS.
Monsieur le Président, nos missions rejoignent celles dévolues à tout Ordre ; en l’espèce, le R.O.F. veille à protéger et défendre la pratique de l’ostéopathie comme vous vous employez à défendre votre pratique médicale. De surcroît, soyez assuré que nous veillons à ce que l’information et la protection des patients soient assurées. C’est l’une de nos priorités.
Les ostéopathes y sont viscéralement attachés.
Nous n’avons pas le droit de les tromper, de les léser, de les blesser.
C’est inscrit dans notre code de déontologie, c’est ce que nous voulons voir respecté par chaque ostéopathe de la même manière que vous l’imposez à chaque médecin.
Nous n’avons pas vocation à contester votre légitime place dans l’organisation de la santé en France. Même si votre message alarmant peut-être compréhensible face aux réalités auxquelles le R.O.F. lui-même est confronté, le ton radical de votre message généraliste nous semble excessif.
Rejeter ainsi l’ostéopathie au même titre que certaines disciplines particulièrement opaques est vécu par le R.O.F. comme une violente maladresse. Cette ostéopathie, que de très nombreux professionnels de santé pratiquent, que de très nombreux médecins recommandent, que de très nombreux sportifs reconnaissent dans leurs performances...
Contrairement à ce que vous concluez, vous n’avez pas saisi qu’il n’y a pas de ségrégation à établir entre l’ostéopathie des Professionnels de Santé et celle des « autres praticiens ».
Il n’y en a qu’une qui doit être effectivement encadrée y compris dans la mise en œuvre de sa pratique au quotidien pour ne pas émettre un doute aux yeux du patient...
Serait-ce une piste à suivre pour nos législateurs ?
Nous vous encourageons à reprendre certains termes de votre rapport, car l’ostéopathie est une pratique responsable.
Les déviances sectaires ne sont pas uniquement l’apanage des « pratiques de soins non conventionnelles » comme vous vous employez à le véhiculer.
Le Registre des Ostéopathes de France se propose de mobiliser ses compétences pour vous accompagner dans notre combat commun contre les dérives sectaires, d’une manière clairvoyante et objective.
Je me tiens personnellement à votre disposition pour vous rencontrer afin d’échanger sur ce sujet qui, je le comprends, nous tient tous les deux à cœur.
Dans cet espoir, je vous prie d’agréer, Monsieur le Président, l’expression de ma considération la plus distinguée.
Christophe COUTURAUD
Président du R.O.F.